Coccinelle
Ce matin, au jardin, deux petites coccinelles …
« Coccinelle, demoiselle, bête à Bon Dieu … »
Aux heures pures de l’enfance, qui n’a jamais égrené les doux mots de cette comptine ?
Comptine des enfants de la maternelle à l’heure des mamans, petite chanson partagée sur les genoux d’une marraine câline, romance printanière fleurissant au potager.
Le délicat coléoptère porte notre imaginaire vers des espaces invisibles dans l’espoir d’un lendemain lumineux. Il suffit d’un souffle tiède pour que l’écarlate de ses élytres dessine une parabole éthérée devant nos yeux étonnés. Un vol souvent trop court et pas toujours en accord avec la direction murmurée. De quoi s’interroger sur la réalité de celui qui tient le décor céleste en ses mains.
Le petit insecte offre l’occasion d’une première et hésitante numération. On dit le dernier chiffre magique. Nos pas vers l’âge des certitudes effaceront un peu ces croyances ourlées de mystère.
Petite coccinelle est l’amie du jardinier. Son appétence pour la chair craquante du redoutable puceron flatte l’homme aux mains vertes. Équilibre de la création entre le végétal, la faune minuscule et le géant au chapeau de paille. Tableau bucolique bientôt souillé par d’autres mains, d’autres hommes moins délicats et plus savants.
Notre bête à Bon Dieu doit aujourd’hui affronter outre le gros temps de la chimie, l’entomophagie de consœurs made in China, plus voraces, plus productives, plus fécondes, plus fructueuses, plus lucratives mais terriblement dangereuses !
Libérée par l’apprenti-sorcier, Harmonia axyridis (en latin dans le texte) ne sait rien du Bon Dieu. Elle est du pays de Mao, du continent du Tao. Chaos !
L’invasion de nos jardins est en route. Pernicieuse et ravageuse. Les jours de notre Demoiselle Oiseau (en anglais dans le texte) sont comptés. Gare aux jolis petits points noirs !
Pour tromper l’ennemi autochtone, la peu harmonieuse Harmonia s’est parée d’une multitude de couleurs, du noir le plus funèbre au vermillon le plus lumineux, en passant par des nuances orangées fort trompeuses. Au pays des contrefaçons, les petits décors bien ronds, bien rangés se sont mués en taches approximatives et désordonnées.
Oh, bien sûr, quelques écervelés de la culture potagère, peu soucieux de l’éthique comme de l’esthétique des choses, saluent l’efficacité de l’envahisseur. Bel appétit !
Notre demoiselle à nous, celle de la chanson enfantine, ne chante plus. Plus question de porter sous ses ailes le message à vocation météorologique. Comment peut-elle encore porter haut notre bonheur quand sa progéniture sert de pitance à la colonisatrice aux yeux bridés ?
Qui demain cachera sous ses ailes l’espoir d’un matin azuré ?
Ce matin, au jardin, deux coccinelles asiatiques copulent sans contrefaçon …
Jicé baverel
02 septembre 2013