Cahiers jetés
La petite route forestière relie le bas de la ville au quartier du haut. Ou plutôt le contraire, tant les gens du haut sont de la France d’en bas et les gens du bas …
A mi-chemin entre les deux mondes, en contrebas de la route forestière, un sac à poubelle d’un gris lugubre a vomi son chargement bien aidé par une main (ou deux) imbécile(s).
Au pied d’un charme adulte gisent pêle-mêle vêtements d’enfants, classeurs d’écoliers, livres et cahiers …
Visiblement les enfants n’y sont pour rien. Y* et A* viennent de quitter les bancs joyeux de la maternelle et ceux plus sérieux de l’honorable cours préparatoire. C’est écrit ! Deux années d’application (on suppose) et de croissance intellectuelle (on suppute) mêlées aux broussailles épineuses où courent volontiers petits rongeurs et autres volatiles en quête d’une vitale pitance.
Fichier subitement caduque aux yeux de l’écureuil roux impavide devant la noblesse des mathématiques. Livret de lecture livré aux caprices d’un ciel orageux qui viendra bientôt diluer en quelques averses le labeur pugnace d’une plume s’émouvant de la pérennité du littéraire. Classeur impudique livrant ses entrailles encrées au regard du promeneur courroucé.
De ce fatras s’élève un irrévérencieux bras d’honneur à l’école des Ferry.
Un épais cahier relié par une spirale d’un blanc encore immaculé titre : « Mon cahier de projet : le train ». Joli déraillement !
Quelques pages délicatement tournées – le promeneur a une idée plus élevée de la communale- dévoilent une riche compilation d’informations sur ce que fut le train de la vallée toute proche.
Images lointaines d’une contrée industrieuse et prometteuse, photographie d’une imposante bâtisse où s’affiche l’accueillante enseigne du Café de la Locomotive … on sentirait presque les effluves tabagiques et le gros rouge d’une sortie d’atelier !
Triste destin d’une mémoire jetée dans le fossé, vouée à l’oubli.
Il faudra bien quelques siècles pour que ce petit coin de nature ingère et digère ces matières modernes.
Il faudra certainement quelques décennies de plus pour que ce chemin forestier réunisse réellement les gens d’en-haut et les gens d’en bas …
A condition toutefois que les uns comme les autres ne jettent plus aux orties ce terreau de l’humanisme qu’offrent le savoir et la connaissance !
*La révélation des prénoms étant susceptible de provoquer une allergie xénophobe, l’auteur préfère leur conserver l’anonymat
jicé baverel
août 2013