Philippe
Son pas matinal a la lenteur des jours qui passivement s’étirent. Invariablement sa tenue est celle des hommes qui courent les bois et se fondent dans la vie sauvage invisible à l’homme moderne. Il pleure encore son seul compagnon, un Bruno du Jura, un complice, une motivation à vivre.
Depuis des jours et des nuits, il souffre d’une infection dentaire. Antalgiques et remèdes de grand-mère ne sont que faibles ennemis d’une douleur persistante. « Mais pourquoi ne va-t-il pas chez le dentiste ? » diront quelques esprits aussi pragmatiques qu’impétueux … Pour ne point tromper notre lecteur, il est utile de dire que cet homme n’a pas de « couverture » sociale. Ayant laissé filer la date de renouvellement de « sa » CMU, il ne peut prétendre au sésame de la Sécu et comme il est fauché comme des blés qu’il ne connaît plus depuis des lustres, les portes du cabinet médical lui restent closes. Désespérément. Rencontre avec une certaine Lydia en des lieux caritatifs. Cette dernière s’inquiète de cette joue gonflée et de cette main collée en permanence sur une douleur irradiante. Elle lui conseille de se rendre prestement aux urgences de l’hôpital public où, après maintes tergiversations, un disciple d’Hippocrate et son bistouri soulagent provisoirement le pauvre homme.
L’histoire pourrait s’arrêter là si l’infection avait abdiqué mais tout au contraire elle redouble de plus belle. Et toujours pas de carte, toujours pas de médicaments, toujours autant de souffrance. Le dossier de la Sécu suit son (long) cours…
Comme chaque vendredi, ce monsieur se présente chez Coluche où l’attentive Lydia l’accueille et prend des nouvelles. Rien n’a changé sauf un pansement sur la joue en souffrance … Heureux hasard, un permanent de la CPAM (Caisse Primaire d’Assurance Maladie) est en visite en ces lieux de misère et de solidarité. Lydia lui présente l’homme au pansement qui expose timidement sa situation, son attente et ses espoirs de sésame vert. Le CPAMien prend immédiatement l’affaire en mains et assure notre infortuné bénéficiaire que dans les heures qui suivent il pourra se rendre chez un médecin et dans une officine pour, enfin, soigner cette vilaine attaque infectieuse … Une dénommée Christiane, dans une discrétion qui l’honore, se charge des contacts.
Chacun aura compris que cet épisode de vie a pour cadre le Resto du Cœur, que le solitaire amoureux des bois est un bénéficiaire (on dit aujourd’hui, « personne accueillie ») et que dame Lydia et sa consœur Christiane sont de généreuses bénévoles.
Chacun pourra comprendre que, si la distribution alimentaire est d’une vitale importance, l’écoute et l’accompagnement de « nos gens » permet de déceler des souffrances masquées et de les apaiser voire de les éradiquer.
Qu’en penses-tu Coluche de là où tu es ?