Jean-Claude Vorgy, la poésie au village
Anteuil, les années 70 (1970 !)
Un village ordinaire au pied des collines du Lomont. Deux bistrots : « chez Faivre », le Léon et son haleine aillée et « chez Colin » pour l’exotique couscous, quelque peu anachronique en ces lieux gaulois. Des gars au sommet de leur pileuse virilité qui attachaient leur ceinture au zinc en ingurgitant force « canons ». Le jeu, d’une subtilité sans égal, consistait à résister à l’inévitable appel à vidange d’une vessie abondamment gonflée par les liquides maltés les jours de semaine et les nobles breuvages anisés de fin de semaine. Sans compter le canon de rouge en provenance directe de la bouteille étoilée et capsulée. Un défi enrobé d’histoires de chasse, beaucoup, de pêche, un peu, de champignons et de traditions. Un théâtre de mâles où la femme se devait de s’en tenir aux coulisses à l’image de la Mariette dont la présence se limitait au fumet de sa croûte aux morilles. Des amitiés de beuveries qui se prolongèrent dans la rubrique des faits divers du journal local car, quand ils ne laissèrent pas leur peau sur le bitume, ils finirent par s’entretuer !
Loin de cette atmosphère plus sauvage que rustique, un garçon cultivait discrètement solitude, accords de guitare et artisanat d’art. A distance des gros bras-grandes gueules, il suscitait certainement sarcasmes et propos sectaires. Le cheveu long et le vêtement baba cool détonaient dans l’étroitesse d’un univers voué aux labours et à la métallurgie automobile.
Anteuil, aujourd’hui
Les éoliennes ont fleuri sur les collines du Lomont et alimentent des vents polémistes jusque sur les tombes de ceux pour qui la ceinture et le zinc sont devenus vains. On travaille moins à la grande usine mais une autre est venue occuper des terrains qu’on ne laboure plus. Des maisons toute neuves ceinturent le vieux village. Les bistrots ont définitivement baissé leur rideau, le Léon a rejoint Toni Jacque et les accordéonistes du Balajo au panthéon des apéros sur le zinc et des javas bleues. Des gros bras-grandes gueules restent quelques souvenirs jaunis et confus dans lesquels les encore présents choisissent encore leur camp, leur coupable, leur victime.
Loin des évocations stériles, Jean-Claude poursuit son bonhomme de chemin au pied des crêtes vosgiennes sans se soucier de la symbolique capillaire et vestimentaire. Il garde, chevillée à l’âme, une table d’harmonie où résonnent avec bonheur et talent les caresses des mots et des arpèges. Ceux qui, hier, portaient un regard railleur sur ce voisin différent esquissent peut-être, aujourd’hui, un sourire amusé en écoutant « Les chaussettes ». Puissent-ils trouver un peu de repos aux tourments de leurs âmes dans la poésie de ses vers :
« Si tu mets dans ton verre
Un peu de lumière du printemps,
Les charmes du pivert
Et la profondeur de l’instant,
Quelques éclats de rire
Posés sur un lit de rosée,
La douceur d’un plaisir apprivoisé…
Tu verras ce breuvage
Au doux parfum d’éternité
Te dira les bons usages de la liberté ».
Contact : Jean-Claude Vorgy, poète, auteur, interprète
jclvorgy@gmail.com