Venise

photo Fabienne Ceroi

          J’avais fui le tumulte du Carnaval. Le mélange des costumes chatoyants et des paparazzis nikonés avaient achevé mon fantasme. La froide solitude du quai humide m’offrait une pause réparatrice. Le clapotis du canal rythmait la chanson des Amants… les eaux saumâtres engloutissaient mes dernières pensées romantiques quand, au détour d’une ruelle, elle m’apparut.

Grâce sublime sur l’élégance fragile de ses pointes, corolle bleutée d’un tutu éthéré, son regard se perdait au-delà d’un horizon impalpable. Fascination. Elle entama quelques sauts de chat avant d’offrir à mes yeux de captivantes arabesques. Puis, d’une légèreté de libellule elle franchit le canal pour gagner l’autre rive. Les tapis des gondoliers gardaient secrètement l’empreinte de ses chaussons.

Cachée derrière la pierre grise et moussue d’une fontaine, elle me fit un signe de la main. Le temps de traverser le rio au risque de m’y noyer, elle avait disparu !

Le souffle court, je fendis la foule bigarrée, heurtant au passage un éphémère arlequin, bousculant des touristes en quête d’un présent à figer, effrayant d’ingénues colombines, évitant les griffes des énigmatiques gnagas… elle avait disparu!

Le pas lourd, l’âme incrustée de sa silhouette envoûtante, je revins sur les lieux de l’apparition. L’ocre du mur portait en filigrane le rose délavé d’une corolle, les traces bleutées de son cache-cœur. Je posai une main moite sur la pierre tiède et découvris une inscription bistrée… « Ti amo ».

Le clapotis du canal rythmait la chanson des Amants.