Tête de femme?
On savait que les Croqueurs n’étaient pas du genre tête de bois même si leur savoir a la consistance de l’aubier sous une écorce de discrétion. Pourtant, à l’étal de leur collection automnale, dans le grand défilé immobile des reines et reinettes du verger, une appellation interpelle : « Tête de femme » !
Un beau fruit, bien rond, bien qu’un peu aplati aux deux pôles …
Les concepteurs (après le grand Créateur, bien sûr) de la reinette dorée, de la Marquise de Scey, de la Cousinotte et autre Belle Fille de Salins seraient-ils à ce point en manque d’imagination ? Et pourquoi pas Tête de Linotte ou Tête de Mule ?
Dans son casier la mal nommée expose ses rondeurs tavelées, affichant une pâle blondeur à peine rehaussée d’un timide trait de rose.
Messieurs les Croqueurs, est-ce ici votre vision de la féminité ? Auriez-vous déjà tourné le dos à la noble Reine Marguerite ( Bohnapfel pour le Dada des Damas), auriez-vous oublié la suave Jaunette d’Allondans, la Belle de Boskoop ?
Je soupçonne ces sculpteurs de greffons d’avoir une idée derrière la tête et d’assouvir en ce vocable une vengeance envers leur féminine compagnie. Une jalouse épouse lasse de ces interminables tête-à-tête entre son mari et une cohorte de fruits aussi parfumés que défendus ? Une compagne qui n’en fait qu’à sa tête ? Une voisine qui a la tête trop près du bonnet ?
Suggestion personnelle : plutôt que d’affubler cette belle ronde d’une expression vengeresse qui sied mal à l’honorable confrérie des Croqueurs, je propose de la baptiser « Pomme de discorde ». Et de garder la tête froide.